« L’eau est l’élément constitutif de la vie. Impure elle en devient effrayante, absente elle peut être l’objet de conflits, généreuse elle est réjouissance et abondance. Cette contradiction accompagne sa nature essentielle.
Pour l’artiste qui cherche une dimension poétique dans la photographie ou la vidéo, l’eau est un matériau difficile, un véritable défi. Là encore on a à faire à une dualité : l’eau, la neige, la brume, la cascade, la vague, sont graphiquement trop plates, trop fluides, trop lisses, pour devenir matière visuelle, autre que de belles images de nature qui n’affirment pas la singularité d’un regard et que l’on caricature sous l’appellation “cartes postales”.
Cette exposition confronte le regard de 12 grands artistes, photographes et vidéastes, qui dépassent ces difficultés dans des essais visuels où l’eau, liquide, solide ou gazeuse, joue un rôle de premier plan.
Documentaires, introspectifs, graphiques, contemplatifs, ces différents projets montrent une diversité étonnante d’utilisation de cet élément si familier qui devient ici un acteur exceptionnel de l’image.
Le minimalisme des horizons marins d’Hiroshi Sugimoto est désormais un temps fort de l’histoire de la photographie.
Les nus de Lucien Clergue surgissant de l’eau ou séchant au soleil de la Camargue ont ému plusieurs générations.
Harry Gruyaert n’a réalisé que tardivement que le littoral l’avait attiré toute sa vie, au point de réunir ses rivages dans un livre plusieurs fois réédité.
Martin Parr a connu son premier succès avec ses photos noires et blanches d’Anglais sous la pluie, confirmé avec ses photos en couleurs des plages populaires qui l’ont rendu célèbre.
Les découpages dans les magazines people et les montages de Mazzacio et Drowilal constatent avec un œil amusé combien la presse aime faire rimer célébrités et loisirs au bord de l’eau.
C’est du travail que Jean Gaumy témoigne à travers la dureté de la vie de pêcheur, affirmant que l’on ne peut bien photographier la mer que lorsqu’elle est démontée.
Sur les côtes japonaises la mer a fait des ravages, ce dont témoigne Philippe Chancel mêlant photos spectaculaires et leur géolocalisation.
Pour lutter contre la douleur de l’âme, Arno Rafael Minkkinen inflige toute sorte de postures à son corps, dans une recherche de beauté absolue qui n’aurait que la nature pour équivalent.
Ce n’est que quarante ans après l’avoir inventée que Brian Griffin a trouvé le parfait usage de sa machine à faire des portraits à travers l’eau.
Alain Willaume démontre la cohérence du territoire européen qui confine à l’océan ou à de grands lacs dans ses nombreuses extrémités.
Gonzalo Lebrija propose une promenade en voilier, dont on ne sait où la dérive nous mène en l’absence de barreur.
En photographie tous les sujets sont bons. Les plus difficiles sont ceux qui s’éloignent de l’événement ou de la représentation en trois dimensions, les plus virtuoses sont ceux qui traitent de l’immatériel. Ces deux aspects sont réunis ici autour d’artistes d’exceptions qui nous font osciller d’eaux calmes en eaux troubles et inversement.»
François Hébel, Commissaire de l’exposition