Bénéficiaire d’une bourse de la Fondation François Schneider en 2009
Qui êtes-vous Hocine Youbi, pour avoir obtenu une bourse de la Fondation ?
Je suis presque « caricatural » comme boursier ! j’ai tous les traits du genre ! Je suis le dernier d’une famille nombreuse, 7 enfants, d’Auxerre. Mon père originaire de Fez a émigré en 1960, car il y avait de l’embauche en France à cette époque, et il voulait que ses enfants bénéficient d’une bonne éducation et des chances de réussir dans la vie. Vous savez pour les marocains, la famille c’est primordial, c’est la « carte de visite », c’est le premier sujet et quand nous nous rencontrons, nous passons une heure à échanger des nouvelles des parents, frères et sœurs, enfants, cousins, neveux …
Mon père avait une petite situation d’ouvrier dans une usine de batteries et ma mère restait au foyer, nous habitions un F5 dans une HLM d’Auxerre, toujours très animé car, en plus de mes frères et sœur, s’ajoutaient souvent les enfants des aînés. Nous vivions un peu en circuit fermé, très proches d’une petite communauté marocaine. Nous étions modestes mais pas pauvres, nous faisions attention, surtout quand il fallait payer les études de tous, mais nous avions tout, l’utile, pas le futile.
Je suis jumeau avec mon frère Hassan. Hassan et Hocine sont les prénoms des jumeaux de la fille du prophète. Hassan a fait des études d’infirmier, c’est vous dire que la finance était tendue quand j’arrivais au stade des études supérieures.
Quel genre d’enfant étiez-vous ?
C’était vraiment les études d’abord. J’aimais ça, surtout l’histoire et géo, l’économie, les lettres. Et j’étais poussé à fond par mes parents.
Mon père était très ambitieux pour ses enfants, très exigeant pour leurs études. Je me souviendrais toujours de mon premier bulletin de 6ème. Je rapportais à la maison un 16,5 de moyenne, et mon père hésitait à me féliciter car je n’étais que second ! à quelques dixièmes près, d’ailleurs. J’étais très motivé, les études étaient le seul moyen honnête de grimper, d’avoir un métier intéressant, sans usure physique, sans subir un petit chef, bref d’avoir le plaisir de travailler et d’aller au bout de ses possibilités et de son destin.
J’ai eu la chance d’aller dans un bon lycée, le lycée Fourier à Auxerre. Et je fréquentais beaucoup la bibliothèque municipale pour travailler en paix. J’ai eu aussi la chance de réussir correctement. J’ai fait la section E.S. Économique et sociale au bac et j’ai obtenu une mention Bien.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Là encore je pense que, finalement, c’est une chance, j’ai raté le concours d’entrée à l’ENS. Il conduit surtout au professorat dont je n’ai pas vraiment envie. Mais j’ai été admis au Magistère de Relations internationales et Diplomatie à la Sorbonne. Le Magistère, c’est la volonté de rivaliser avec les grandes écoles, une sorte de cuvée spéciale de 20 élèves qui suivent des cours renforcés, accueillent des professionnels, font des stages (j’en ai fait un chez Ernst & Young). Ce cursus haut de gamme de trois ans me convient parfaitement et me permettra de choisir ma voie en étant devenu plus mature.
Maintenant l’avenir vous est grand ouvert ?
Je suis réaliste. Rien n’est jamais acquis. Je ne suis pas tranquille. Demain tout peut s’arrêter. Il faut toujours se remettre en question. C’est ce que mon père m’a appris.
Venons-en à la bourse, comment se présentait votre accès aux études supérieures ?
D’abord je dois vous dire que l’orientation était pour moi un véritable casse-tête. J’ignorais tout de la vie et des métiers, A part la télévision nous avions très peu d’ouvertures sur le monde. J’ai passé des heures sur Internet, à la maison de la jeunesse pour lire des magazines d’orientation et de conseil, sur le site de l’ONISEP. Je n’étais pas vraiment prêt à choisir. J’avais peur d’une porte trop étroite. Choisir, c’est renoncer à… disait André Gide. Alors j’ai visé des études larges qui repoussaient l’échéance d’un métier précis. L’ENS de Cachan m’offrait une formation approfondie dans des classes préparatoires en droit et économie, (le seul dans ces matières), tout en commençant la licence de Droit à la Fac. J’y voyais aussi l’opportunité de tester mon potentiel, d’aller au bout de mes possibilités sans m’enfermer. C’est la voie que j’ai étudiée et visée.
J’ai vu que, dans mon Académie, il y avait une classe préparatoire à Dijon, avec les facilités d’un logement CROUS mais elle se situait dans la deuxième moitié du classement. Les meilleures prépa. étaient à Paris, le lycée Turgot notamment, mais pour mon père c’était quasi impensable financièrement, et dangereux, il se rappelait la répression des émeutes de 2005… Et moi je n’osais imaginer un emprunt et le risque qu’il présentait si je ratais.
Enfin je présente les deux, Dijon et Paris. Incroyable – inexpliqué d’ailleurs quand j’ai interrogé les autorités – j’ai été reçu à Paris, pas à Dijon. Panique !
Paris c’est hors des possibilités de ma famille. J’en ai parlé à l’assistante sociale de mon lycée qui m’a conseillé de postuler à une bourse de la Fondation François Schneider. Je me suis tout de suite appliqué à faire une belle lettre de motivation, et j’ai sollicité le parrainage de ma professeur principale avec qui je m’entendais très bien. Elle a écrit une lettre manuscrite très juste, avec mes qualités et mes défauts, très émouvante.
J’ai passé un été de stress : Dijon me disait que j’étais 300 ème sur la liste d’attente – pour une classe de 30 ! – avec quand même l’espoir de remonter si j’avais une mention au bac, et pour Paris, le verdict de la Fondation ne tombe que fin Août. Sa lettre arrive enfin, le bonheur, la Fondation m’accorde une bourse de 3700 € et un superbe ordinateur portable Toshiba 17 pouces avec un pack Office et une année de sécurité. Avec la bourse d’état de 400 €/mois, j’arrache l’accord de mes parents, je me lance à Paris. Ni moi, ni eux, ne connaissions la capitale. Ce fut la galère pour trouver un studio à louer. Après bien des déceptions je finis, la veille de la rentrée scolaire, par trouver un studio rue Gambetta dans le XXème pour 600 €/mois.
C’est cher, mais ça irait pour suivre des cours au lycée Turgot dans le IIIème et à la Sorbonne. J’arrivais à vivre, simplement, à acheter les livres indispensables et à beaucoup travailler sans perdre mon temps dans des petits boulots.
Pour la seconde année de prépa, grâce au Proviseur de Turgot qui m’a conseillé et grâce aux bonnes notes que j’avais obtenues, j’ai été pris dans un internat d’excellence au lycée Chaptal. Il m’assure le gîte et le couvert pour 800 €/trimestre. Avec ma bourse d’Etat, ça passe. J’apprécie beaucoup de me familiariser avec Paris et de découvrir toutes les possibilités culturelles qu’il offre. Le champ est immense, j’ai encore beaucoup à découvrir !
Autre chance – j’ai la baraka – j’ai obtenu en fin de première année une bourse Fulbright pour découvrir les États-Unis, Boston, Washington D.C. et New York, le capitole, les Nations Unies, les universités américaines… C’est une ouverture et des amitiés qui m‘ouvrent des horizons inespérés.
Qu’aimeriez-vous faire plus tard ?
Mon rêve serait d’être diplomate. J’ai un tempérament ouvert aux autres. J’ai toujours été délégué, d’abord de classe, puis du collège, du lycée, des lycéens de Bourgogne et enfin national. J’adore rendre service, aider, je le fais naturellement et j’aurai continué même si je n’avais pas été élu.
La diplomatie serait le moyen d’être fidèle à ma double origine française et marocaine, de mieux connaître les autres cultures, les autres religions, les autres civilisations, pour travailler à la paix.
Je dois beaucoup à la France, je lui exprime respect et gratitude, je suis très reconnaissant aussi à la Fondation, c’est vraiment elle qui m’a permis de commencer, d’ailleurs, tous les ans, j’essaie de rendre ce que j’ai reçu en allant au Lycée Fourier aider à l’orientation des élèves et parler de ces bourses. Mon rêve absolu serait d’être négociateur international, par exemple pour l’ONU ou l’une de ses organisations spécialisées.
Entretien réalisé en 2012